
Pour l’épanouissement, ce que Nietzsche désigne comme le bonheur, qui suppose une certaine manière de coller au présent, d’épouser le présent, de jouir du présent, de le vivre, d’en profiter, il faut avoir un minimum de liberté, de légèreté, ne pas être paralysé, écrasé par le poids du souvenir du passé. C’est une des directions qui permet de comprendre un petit peu pourquoi Nietzsche valorise l’oubli.
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Le principal, c’est déjà qu’un tri (des souvenirs) s’effectue. C’est une nécessité pour la vie, sans quoi on a affaire à une sorte d’invasion d’information, d’invasion de faits, de souvenirs, qui ne peuvent qu’aboutir qu’à la paralysie.
Patrick Wotling, professeur de philosophie
Avant de quitter Facebook l’année dernière, j’avais été un utilisateur quotidien du site pendant plus de 10 ans. J’avais donc accumulé des milliers de messages, photos, souvenirs, et connections souvent désuètes, que Facebook me remontait régulièrement au visage. Ces souvenirs étaient parfois (souvent?) sans intérêt, mais occupaient tout de même un espace mental inutile dans mon esprit. J’explique que, suite à la fermeture de mon compte, j’ai senti un poids disparaître, sans pouvoir toutefois l’expliquer clairement. Il y a certainement plusieurs pistes de réponses, mais si on utilise la grille d’analyse nietzschéenne, il est possible que ce soit le poids de ces souvenirs qui s’est volatilisé, amenant donc une nouvelle légèreté chez moi. Sous cet angle, Facebook serait donc une machine à conserver les souvenirs, et on peut supposer que Nietzsche n’aurait pas été un utilisateur du site.
Source : Nietzsche, toute action exige l’oubli, Les chemins de la philosophie, France Culture, 18 février 2019.