Comment « Understanding Comics » de Scott McCloud m’aide à décoder le phénomène ChatGPT

OpenAI a récemment lancé ChatGPT, un agent conversationnel spécialisé dans le dialogue qui utilise les plus récentes techniques d’intelligence artificielle. Depuis son lancement il y un mois, toute la sphère technologique (et même plus) est survoltée. En effet, les réponses de cet agent sont « remarquablement détaillés » et « semblables à ceux d’un être humain » selon les extraits d’analyses que l’on retrouvent sur Wikipedia. Par contre, plusieurs personnes ont déjà remarqué que les réponses ne sont pas toujours exactes et factuelles. Toujours est-il que ça n’empêche pas plusieurs utilisateurs/trices d’être en émoi face à ce nouvel outil, y projetant espoir et peur à la fois. Il est vrai que l’outil est fort impressionnant technologiquement et que celui-ci nous permet d’imaginer un certain futur de la recherche d’information, mais je trouve que la réaction face à lui est somme toute démesurée. C’est souvent le cas dans le domaine de l’intelligence artificielle. On cherche l’humain là où il n’y en a pas.

Une lecture récente du fabuleux « Understanding Comics » de Scott McCloud m’a donné une piste de réflexion. Expliquant les rouages de la bande dessinée, McCloud mentionne qu’on se voit soi-même quand on regarde des versions caricaturale (« cartoons » en anglais) de personnages. Il écrit : « we just don’t observe the cartoon, we become it » (voir l’extrait ci-dessous). Je pense que les humains ont le même ressenti face à ChatGPT et autres outils du même genre. Pour la première fois, on se retrouve devant un agent conversationnel qui nous ressemble, mais c’est une version caricaturale d’un être humain. On y met donc ce qu’on veut.

Extrait de « Understanding Comics » de Scott McCloud.

Nous ne sommes pas dans une situation normale de télétravail

Lors d’une vidéoconférence récente avec des amis, tous issus de la première vague du Web, nous discutions de l’accélération du télétravail, évidemment causée par la nécessité du confinement.

À première vue, cette transition globale semble s’être faite très rapidement et efficacement, mais je crois que la réalité est tout autre. D’abord parce que plusieurs entreprises assument que leur personnel était prêt pour ce bouleversement. Les expertes et experts du travail à distance le disent : celui-ci vient avec un tout autre type de cultures, de méthodologies et de codes. De façon exagérée, ce sketch de l’émission Saturday Night Live met en lumière certains de ces enjeux. D’ailleurs, sachant la réalité souvent dramatique vécue par plusieurs personnes, cette vignette ne m’a pas fait rire, mais au contraire m’a ouvert les yeux à une réalité souvent oubliée par les gens qui exercent un métier lié à la technologie. De plus, la situation aujourd’hui est exceptionnelle et ne représente pas un contexte habituel de télétravail. La crise sanitaire et économique amène son lot de situations anxiogènes.

Capture d’écran de l’émission Saturday Night Live du 11 avril 2020

Dans ce cadre, les gestionnaires doivent aujourd’hui faire preuve d’une grande bienveillance envers leur équipe. Ils/elles doivent se mettre à la place d’autrui et accompagner leurs employé(e)s à travers la crise. Wikimedia, la société qui gère le site Wikipedia, a su montrer l’exemple dès le 16 mars en disant à leur équipe : « Le travail n’est pas la seule chose qui préoccupe les gens en ce moment. (…) Nous vous demandons de vous engager à travailler 50% de vos heures normales. Ce ne sont pas des vacances. Si les gens sont capables de travailler plus d’heures normales, notre mission en a besoin. Mais nous ne suivrons pas le temps travaillé. »

En même temps, les employeurs doivent guider et former leurs employé(e)s au travail à distance, leur apprendre les différents outils, les nouveaux codes, etc. Cela prendra du temps, mais ce temps d’apprentissage est nécessaire pour le bienfait des équipes. À ce propos, depuis le début de la crise, Scott Berkun prodigue d’excellents conseils de communication dans le contexte du télétravail. Enfin, nos espaces physiques de travail, nos bureaux risquent aussi de changer de forme dans un futur rapproché (voir cet article de FastCompany) et ce sera aussi aux gestionnaires d’accompagner leurs coéquipiers dans cette transformation.

Je terminerai ce billet en citant la philosophe Cynthia Fleury à propos du concept de la société du Care, « une société du « prendre soin » où on comprend que nos interdépendances sont des forces qui nous permettent de transformer le monde de la façon la plus créative et solidaire possible. » Elle ajoute :

Aujourd’hui, on pénètre dans un univers où la responsabilité collective, le fait de créer un comportement en accord avec le bien commun (…) est également important. Ça aussi, c’est typique des sociétés du Care : reconnaissance, valorisation des métiers du Care, culture d’empathie, culture solidaire, moins de compétition.

Ce concept me semble clé par les temps qui courent.

“The earth has a soul: Carl Jung on Nature, Technology & Modern Life”: a book review

[Note de l’auteur : j’ai publié ce texte en anglais dans le cadre d’un club de livres que j’ai joint récemment (sous la suggestion de l’amie Debbie Rouleau). Il s’agit d’une critique personnelle du livre « The earth has a soul: C. G. Jung on Nature, Technology & Modern Life ». Cet ouvrage, publié en 2002 chez North Atlantic Books, présente des extraits des ouvrages, lettres et séminaires du Carl Jung (1875-1961), tous liés à ses diverses réflexions sur la nature et la technologie.]

“The earth has a soul: C. G. Jung on Nature, Technology & Modern Life” presents excerpts from Carl Jung’s (1875-1961) books, letters, and seminars, all related to his various thoughts on nature and technology.

Let me preface the reflections that follow by saying that, a) I’m a big fan of Freudian psychoanalysis (especially the core tenet that “unconscious material can be found in dreams”) and b) the impact of technology on society has been one of my favorite topics over the last three years. I also have very limited exposure to Jung’s writings. Because of that, I was looking forward to reading this book. Maybe because my expectations were high, I ended up being disappointed with it. Let me first share what bothered me and we’ll get into insights in the second part of the review.

The lows:

I think one of the main problems with the book is that these excerpts don’t tell a completely cohesive story. There’s a lot of repetition, it sometimes feels disjointed and because of that, now and then, you get the impression Jung is ranting. For that, I don’t blame Jung, I fault the editor. I would much have preferred a book that analyzed Jung’s thoughts, provided context to the reader, instead of extracts from his work. For example, Scientism (“the promotion of science as the best or only objective means by which society should determine normative and epistemological values”) was a very prevalent school of thought in the late 1800s, early 1900s, in the zeitgeist when Jung was coming of age. After the invention of the atomic bomb and its use in Japan in 1945, no wonder he feels disillusioned about science. The introduction (p. 11) quotes him as saying “The more successful we become in science and technology, the more diabolical are the uses to which we put our inventions and discoveries”.

Jung’s interpretation of Nature sometimes veers into a religious fervor. In the introduction (p. 3), the editor writes “At times, Jung capitalized the word nature, as if to convey his respect for it as a divinity”. As an atheist, this reasoning turned me off. But then, he also equated Nature with instinct and won me back (see insights section below). This to-and-fro movement reminded me of Dutch philosopher Baruch Spinoza (1632-1677). Spinoza viewed God and Nature as two names for the same reality. By the way, I had the same reaction reading Spinoza’s writings.

His cynicism about politics (p. 167): “I am uninterested in politics because I am convinced that 99 percent of politics are mere symptoms and anything but a cure for social evils. About 50 percent of politics is definitely obnoxious inasmuch as it poisons the utterly incompetent mind of the masses”. As a believer in democracy and politics, I was reminded of Winston Churchill’s quote from 1947: “No one pretends that democracy is perfect or all-wise. Indeed, it has been said that democracy is the worst form of government except all those other forms that have been tried from time to time.”

His call for individualism (p. 167): “There is only one remedy for the leveling effect of all collective measures, and that is to emphasize and increase the value of the individual.”. As a believer in social democracy and making sure no one gets left behind, I don’t think focusing society even more on the individual would lead to a more humane world.

Finally, the two sections portraying Jung’s travels in New Mexico and Africa (pages 42-62) were sometimes new-agey and made me cringe. I don’t think they added much to the book and felt dated.

The highs:

The book is not without its share of powerful insights. In my personal opinion, here are those that are key and memorable.

On instinct:

This is one of my main takeaways from the book. The editor summarizes it well (p.195) “our evolutionary task is not to return to Nature regressively, but to retain the level of consciousness we have attained and then enrich it with experience of this primordial foundation upon which it rests. »

As a technology entrepreneur, you’re often told that every decision needs to be data-driven, but I believe it leaves out the instinctual, the intuitive and the human side of the business. Professor Henry Mintzberg from McGill University in Montreal, Canada “believes that business schools, management programs, and business leaders are too obsessed with numbers, data, and making the process of management a science (vs. an art). As a proponent of action learning and making decisions based on insights acquired from one’s own challenges and experience, Mintzberg believes there is value business leaders also making intuitive-inspired decisions”

Jung writes (p. 15) that “civilized man … is in danger of losing all contact with the world of instinct”. We need to understand our instinctual base. He adds (p. 14) that “no man lives within his own psychic sphere like a snail in its shell, separated from everybody else, but is connected with his fellow-men by his unconscious humanity” and that “instinct is nature and seeks to perpetuate nature, whereas consciousness can only seek culture or its denial.”(p. 73)

But, at times, I felt frustrated by the lack of description of what those core instincts are. He writes (p.73) “age-old convictions and customs are always deeply rooted in the instincts”, but provides no further instructions. On page 174, he adds: “we need more psychology, we need more understanding of human nature, because the only real danger that exists is man himself. (…) We know nothing of man, far too little. His psyche should be studied, because we are the origin of all coming evil”. He also talks about archetypes (p. 198) as being “the hidden foundations of the conscious mind”, but he doesn’t share what those archetypes are! I wanted to yell: “you’re Carl Jung, you’ve probably treated thousands of patients in your lifetime. Please share with us the common elements of instinct and psyche, and archetypes you’ve seen in your career.” I would have loved to read about that.

On technology’s impacts:

Jung makes a case to better understand the impacts of technology. As someone who has been working in machine learning and artificial intelligence, I’m well aware of this and it is an important message. On page 153, he writes “Considered on its own merits, as a legitimate human activity, technology is neither good nor bad, neither harmful nor harmless. Whether it be used for good or ill depends entirely on man’s own attitude, which in turn depends on technology.”

He also recommends that we use philosophy as a tool to help us (p. 153): “In my practice I have observed how engineers, in particular, very often developed philosophical interests, and this is an uncommonly sound reaction and mode of compensation. For this reason I have always recommended the institution of Humanistic Faculties at the Federal Polytechnic, to remind students that at least such things exist, so that they can come back to them if ever they should feel a need for them in later life.” British philosopher Keith Frankish agrees and recently tweeted that “we’re on the verge of a golden age of philosophy (…) philosophy is what you do to a problem until it’s clear enough to solve it by doing science. More generally, we might say that it’s thinking about things we’re not sure how to think about — trying to establish a theoretical framework within which we can work. Now, there is a very important subject which we’re not yet sure how to think about but which we shall have to think about urgently in the coming decades. It’s artificial intelligence.”

Jung is quite critical of noise and explains why (p. 159): “The dark side of the picture is that we wouldn’t have noise if we didn’t secretly want it. (…) If there were silence, their fear would make people reflect, and there’s no knowing what might then come to consciousness”. He adds (p.160) that “modern noise is an integral component of modern civilization which is predominantly extroverted and abhors all inwardness”. Given that we’re now generating an extreme amount of data and content using our technological tools, what I would call modern noise, we’re at the point where we can’t make sense of the signal anymore. Even though we’re now feeling overwhelmed, I liked this analysis that, in fact, maybe we’re happy that we’re surrounded by all this noise.

Finally, and rightly so, Jung further criticizes time-saving technology and writes (p. 139) that they “do not, paradoxically enough, save us time but merely cram our time so full that we don’t have time for anything”. If you want to explore this concept of “lack of time” in modern society, I strongly recommend reading Hartmut Rosa’s Social Acceleration.

On reconnecting to the environment, to nature. 

Jung might help to explain why many people don’t understand the negative impacts of the climate and natural crisis facing the earth, maybe the biggest challenge of our generation. The book first tells us (p. 79) that “Jung believed the loss of emotional participation in Nature has resulted in a sense of cosmic and social isolation.” Then, Jung warns us about feeling superior to nature (p. 126): “Western man has no need of more superiority over nature, whether outside or inside. He has both in almost devilish perfection. What he lacks is conscious recognition of his inferiority to nature around him and within him. He must learn that he may not do exactly as he wills. If he does not learn this, his own nature will destroy him.” He adds (p. 12) that “the idea that man alone possesses the primacy of reason is antiquated twaddle. I have even found that men are far more irrational than animals”. On a side note, I think we can blame famous philosopher René Descartes (1596-1650) for this as he “denied that animals had reason or intelligence.”

He finally tells us (p. 207) that “trees cannot be without animals, nor animals without plants, and perhaps animals cannot be without man, and man cannot be without animals and plants—and so on. The whole thing is one tissue and so no wonder that all the parts function together, as the cells in our bodies function together, because they are of the same living continuum”

While reading the book, Jung’s thoughts about nature and animals reminded me of the beautiful Hayao Miyazaki movie “Princess Mononoke” where « supernatural forces of destruction are unleashed by humans greedily consuming natural resources ». It also made me wonder if Japanese culture is closer to nature than the North American one.

On the importance of dreams:

At the beginning of this review, I mentioned I was an advocate of using dreams to better understand ourselves. “The dream is a hidden door to the innermost recesses of the soul” writes Jung (p. 18) but he cautions us about following them literally (p. 19). Jung posits (p. 80) that the enormous loss of connection with nature is compensated by the symbols of our dreams. On page 76, he says “we always forget that our consciousness is only a surface, our consciousness is the avant-garde of our psychological existence. Our head is only one end, but behind our consciousness is a long historical ‘tail’ of hesitations and weaknesses and complexes and prejudices and inheritances”.  Finally, he suggests (p. 188) that using dreams might help to better understand ourselves: “your dreams are an expression of your inner life”.

On the importance of history:

I like to return to history to try to make sense of our present time, but it’s not a tool that I see used very often. Jung seems to agree and writes (p. 71) that “consciousness today has grown enormously in breadth and extent, but unfortunately only in the spatial dimension and not in the temporal, otherwise we should have a much more living sense of history”.

On the popularity of fantasy fiction:

Talking about one of the consequences of our disconnection with nature, Carl Jung writes (p. 80) about fantastic creatures: “Nowadays, talking of ghosts and other numinous figures is no longer the same as conjuring them up. We have ceased to believe in magical formulas; … ; and our world seems to be disinfected of all such superstitious numina as witches, warlocks, and worricows, to say nothing of werewolves, vampires, bush-souls, and all the other bizarre beings that populated the primeval forest.” If you follow the book publishing industry, you’re probably aware that “sales in the genres of science fiction and fantasy have doubled since 2010”. Maybe Jung’s theory explains our current collective appetite for this genre.

La neuroscience peut expliquer comment les fausses nouvelles attirent notre attention

Un article récent sur le site du Nieman Lab tente d’expliquer le fonctionnement des fausses nouvelles (les infox) par le biais de la neuroscience. Grosso modo, la nouveauté (ou la surprise), la façon dont notre processus mémoriel fonctionne ainsi que notre façon de décoder les émotions ont la plus grande influence sur nous. En voici donc quelques extraits pertinents :

Sensory neuroscience has shown that only unexpected information can filter through to higher stages of processing. (…) Highly emotionally provocative information stands a stronger chance of lingering in our minds and being incorporated into long-term memory banks. (…) We rely on our ability to place information into an emotional frame of reference that combines facts with feelings. Our positive or negative feelings about people, things, and ideas arise much more rapidly than our conscious thoughts, long before we’re aware of them.

La conclusion est sans appel (ma traduction) : « La nouveauté et l’approche émotionnelle des fausses nouvelles, ainsi que la manière dont ces propriétés interagissent avec le cadre de nos mémoires, dépassent les capacités analytiques de notre cerveau. (…) En l’absence de tout point de vue faisant autorité sur la réalité, nous sommes condamnés à naviguer nos identités et nos convictions politiques au gré des fonctions les plus basiques de nos cerveaux. »

De plus, en 2017, les avertissements des spécialistes sur le caractère addictif de réseaux sociaux avaient fait les manchettes :

Ce que les chercheurs commencent à pouvoir affirmer, c’est que les réseaux sociaux ont un effet sur le cerveau proche de certaines substances addictives, comme la cigarette. Ofir Turel, professeur en systèmes d’information à l’université de Californie, a prouvé que « l’usage excessif de Facebook est associé à des changements dans le circuit de la récompense ». Car, contrairement à la télévision, les réseaux sociaux offrent des « récompenses variables » : l’utilisateur ne sait jamais combien de likes il va récolter ou sur quelles vidéos il va tomber. 

Les recherches semblent donc indiquer que la façon dont les réseaux sociaux ont été construits permet d’abuser de certains mécanismes de nos cerveaux et il n’est donc pas surprenant que l’on voie donc des poursuites contre les grandes compagnies de cette industrie.

Selon cette étude, les médias sociaux ne seraient pas propices à une réflexion analytique sur la vérité et l’exactitude

Un rapport de recherche publié le 13 novembre dernier apporte un nouvel éclairage sur les raisons pour lesquelles les gens partagent de fausses informations dans les médias sociaux. L’équipe de chercheurs, menée par Gordon Pennycook (professeur adjoint à l’université de Regina), Ziv Epstein (adjoint de recherche au MIT Media Lab) et Mohsen Mosleh (chercheur au MIT Sloan School of Management), rapporte que, lorsqu’on donne un coup de sonde, la plupart des gens affirment qu’il est important de ne partager que des informations exactes.

Ils ont aussi constaté que le fait de pousser subtilement les gens à réfléchir au concept d’exactitude réduit le partage d’informations fausses et trompeuses en proportion aux informations exactes. Le rapport suggère que de nombreuses personnes sont capables de détecter un contenu d’actualité de faible qualité, mais partagent néanmoins ce contenu en ligne, car les médias sociaux ne sont pas propices à une réflexion analytique sur la vérité et l’exactitude.

Ce faisant, les chercheurs remettent en question la théorie de la post-vérité mise de l’avant par plusieurs autres collègues, dont le professeur Maurizio Ferraris (billet ici).

Comment les récits en mémoire perpétuent-ils l’influence des fausses informations ?

Dans le dossier « infox », un nouveau rapport de recherche publié en août 2019 nous aide à comprendre pourquoi les gens continuent de raisonner en utilisant des informations qu’ils savent pertinemment fausses. Cette étude, « How Stories in Memory Perpetuate the Continued Influence of False Information », a été réalisée par Dr Anne Hamby de l’université Boise State, Dr Ullrich Ecker de l’université Western Australia et le Dr David Brinberg de Virginia Tech. En voici le résumé (ma traduction) :

Souvent, les gens tombent sur des informations et réalisent plus tard qu’elles étaient fausses. Des recherches passées ont démontré que les gens continuent parfois à utiliser cette information erronée dans leur raisonnement, même s’ils se souviennent que l’information est fausse, ce que les chercheurs appellent l’effet de l’influence continue. Les travaux actuels montrent que l’effet de l’influence continue dépend des récits que les gens ont conservés en mémoire: il a été constaté qu’une désinformation corrigée avait un effet plus fort sur les croyances des gens que des informations ayant un lien topique avec l’histoire si elles permettaient de fournir une explication causale à un récit qu’ils avaient lu précédemment. Nous affirmons que cet effet est dû au fait que les informations susceptibles de combler un «écart» causal dans un récit améliorent la compréhension de l’événement, ce qui permet aux utilisateurs de créer un modèle d’événement complet (même si inexact) qu’ils préfèrent à un modèle d’événement précis mais incomplet.

Grâce à cette étude, on comprend mieux la grande difficulté à convaincre les gens de renoncer à de fausses informations. Le travail peut s’avérer colossal. De là l’importance de s’attaquer aux causes profondes de la création et propagation des infox, puisque le dommage sociétal est non seulement important, mais aussi difficile à juguler.

Assiste-t-on à un retour de la violence physique ?

Comme je le mentionnais dans le premier billet de ce blogue, le sujet de la violence économique et sociale m’intéresse beaucoup dans ma grille d’analyse du monde actuel. Et malgré la thèse de 2011 du psychologue Steven Pinker qui tente de démontrer que la violence physique a diminué sur plusieurs échelles, il semble bien que l’on assiste tout de même à une certaine résurgence de celle-ci. Camille Cabanes, dans le plus récent numéro du Nouveau Magazine Littéraire, explique :

Aujourd’hui, en Russie, au Soudan ou à Hong Kong, les mouvements sociaux se transforment en affrontements sanglants. En France, alors que les médias interrogeaient les gilets jaunes pour savoir s’ils condamnaient les débordements, ceux-ci leur répondaient en dénonçant les violences sociales et la réponse policière du gouvernement. 

À ceux qui voudraient en savoir plus, l’article recommande deux nouvelles publications à ce sujet :

Parmi mes lectures récentes à ce sujet, j’aimerais aussi vous suggérer Le Déchaînement du monde : Logique nouvelle de la violence de François Cusset, publié aux Éditions La Découverte.

Antonio Pele : « L’engouement pour la méditation est une réponse aux exigences toujours plus aiguës du capitalisme »

Dans le cadre d’une intéressante série de six articles sur la méditation, le journal Le Monde du 2 août dernier offrait un entretien avec Antonio Pele, professeur de droit et de libertés publiques à l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro. Passionné de méditation, il remarque que celle-ci est de plus en plus populaire et postule que c’est en réponse « aux exigences toujours plus aiguës du capitalisme ». Il explique aussi que la pratique de la méditation, si elle est utilisée pour diminuer les impacts négatifs de l’accélération, peut causer des effets pervers. Extrait :

Mais [la méditation] peut aussi conduire à accepter le monde tel qu’il est, à s’adapter à cette accélération et aux inégalités qui se creusent, sans vouloir les remettre en cause. Elle peut induire chez certaines personnes l’idée que c’est en se changeant soi-même que l’on va changer le monde. Et que si l’on n’y parvient pas, c’est à cause d’un « mauvais karma ». C’est en quelque sorte une façon de faire le jeu du capitalisme, ou en tout cas de ne pas le remettre en cause. Or la méditation seule ne peut pas changer le monde.

Les observateurs de la scène des jeunes pousses technologiques ont bien remarqué l’émergence relativement récente d’applications de méditation comme Calm ou bien Headspace. Les investisseurs en capital-risque ont d’ailleurs soutenu ces compagnies à coup de millions de dollars (143 pour Calm, 75 pour Headspace). À elles seules, ces deux applications sont téléchargées par millions chaque mois. Dans un billet récent, j’expliquais (en utilisant les théories du philosophe Hartmut Rosa) que l’accélération perçue en notre période de modernité tardive mène à un sentiment d’anxiété dans la population. On peut donc comprendre pourquoi ces compagnies ont tant de succès, mais le professeur Pele nous explique bien que la méditation n’est peut-être pas la panacée désirée contre les effets d’accélération. À nous d’en prendre connaissance.

Le désir de mise en scène est dans notre ADN

Dans un article fascinant qui analyse l’épidémie de décès liés aux égoportraits, Sarah Diefenbach, professeur de psychologie à l’université Ludwig-Maximilians de Munich, nous apprend que les êtres humains ont, de tout temps, ce besoin de mise en scène pour assimiler leur culture et se faire valoir. Extrait :

She says that, extreme or otherwise, we take selfies for all kinds of reasons: to communicate with people we love, to build self-esteem, to curate our self image, to chronicle our personal histories, and—increasingly—to build our personal brands. The branding may be new, Diefenbach says, but the desire to control our images and communicate with our community is not. In fact, she contends, this kind of behavior is part of our very DNA. Our species evolved as hypersocial creatures uniquely concerned about how others perceive us. We have a much longer childhood than most other mammals, and that is by design: we need that time to figure out how to assimilate into our culture and assert an identity. “We have always had a very basic need for self-presentation,” Diefenbach explains.

Puisque ce besoin est dans notre ADN, puisque c’est un besoin fondamental humain, on comprend mieux alors comment des compagnies peuvent en abuser en nourrissant ce besoin.

La vitesse de la société a détraqué notre horloge interne

Un article du magazine Nautilus tente de nous expliquer un nouveau phénomène : « la rage de la lenteur », quand nous nous mettons en colère parce que les choses/les gens sont « trop » lents. Extrait :

Source : Pixabay

Once upon a time, cognitive scientists tell us, patience and impatience had an evolutionary purpose. They constituted a yin and yang balance, a finely tuned internal timer that tells when we’ve waited too long for something and should move on. When that timer went buzz, it was time to stop foraging at an unproductive patch or abandon a failing hunt.

“Why are we impatient? It’s a heritage from our evolution,” says Marc Wittmann, a psychologist at the Institute for Frontier Areas of Psychology and Mental Health in Freiburg, Germany. Impatience made sure we didn’t die from spending too long on a single unrewarding activity. It gave us the impulse to act.

But that good thing is gone. The fast pace of society has thrown our internal timer out of balance. It creates expectations that can’t be rewarded fast enough—or rewarded at all. When things move more slowly than we expect, our internal timer even plays tricks on us, stretching out the wait, summoning anger out of proportion to the delay. (…)

Slow things drive us crazy because the fast pace of society has warped our sense of timing. Things that our great-great-grandparents would have found miraculously efficient now drive us around the bend. Patience is a virtue that’s been vanquished in the Twitter age.

Voici un des effets pervers de cette sensation d’accélération qui nous touche tous. Plutôt que de se mettre en colère contre autrui, mieux vaut comprendre ce mécanisme et le désamorcer.