Médias sociaux, intimité, mise en scène et vide narcissique

La plupart des gens disent que, sur internet, les gens ne se montrent pas, ne disent pas vraiment leur intimité. Ils se mettent en scène. Et je trouve que finalement ce n’est pas parce qu’on se met en scène que ce n’est pas vrai. Et cette façon de se mettre en scène, c’est une autre façon de gérer sa propre réalité. Et cette mise en scène, elle fait aussi partie de la réalité des gens.

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Ce qui est en train de se jouer, c’est la place du secret, la place de l’intimité, la place de son jardin personnel. Est-ce qu’on est capable de ne pas communiquer aux autres ce qu’on n’a pas envie de communiquer. Est-ce qu’il y a une place pour cela? Est-ce qu’il y a un endroit où on peut garder une discrétion?

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J’ai l’impression que les gens qui vont poster sur internet des fragments de leur vie pour une espèce de popularité virtuelle qui, parfois, est au-delà de l’amitié vécue, ce qui est assez intéressant. Ils ont besoin d’avoir une célébrité passagère, une illusion d’être célèbre, d’avoir des gens qui approuvent. Tout cela est d’ailleurs fonction des « likes », des « followers », des abonnées et on a l’impression que finalement leur transparence est très importante parce que c’est une façon de se faire connaitre.

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Je pense que ce qui se montre sur internet, c’est plus quelque chose de l’ordre de l’exhibition parce que c’est très répétitif, très codifié. Et finalement, les gens qui postent des choses sur internet montrent certaines choses d’eux. C’est peut-être une mise en scène de soi mais cette mise en scène de soi, elle fait partie du réel de soi. Et on a l’impression que l’estime de soi se fonde sur ça et c’est une estime de soi qui est un peu virtuelle évidemment. Alors, est-ce que ça ne va pas aboutir après dans la vie réelle à une prise de conscience d’un vide narcissique. Et c’est ce vide narcissique qui est rempli par ce qu’on poste sur internet.

Muriel Flis-Trèves,  psychanalyste

Source : « Faut-il craindre un avenir sans intimité ?« , La Grande Table.

« Le plus grand danger pour l’information publique est peut-être la tendance croissante des personnalités publiques à prendre des libertés avec la vérité »

Se basant sur des données en provenance de Twitter, une étude récente de l’université de Sheffield semble démontrer que les mensonges des politiciens jouent un rôle très important dans la création et la diffusion d’infox (les « fake news »), au même titre que les sites de propagande ou les trolls. Cette recherche se concentre sur l’étude du rôle des acteurs motivés par des considérations politiques et de leurs stratégies pour influencer et manipuler l’opinion publique en ligne : soit les médias partisans, la propagande soutenue par l’État et la politique postvérité. Selon cette étude, « le plus grand danger pour l’information publique est peut-être la tendance croissante des personnalités publiques à prendre des libertés avec la vérité ».

L’étude donne en exemple le fait que deux des affirmations trompeuses faites par les politiciens (dans le cadre de la campagne du Brexit) ont été citées dans 4,6 fois plus de tweets que les 7,103 tweets liés à Russia Today et Sputnik et dans 10,2 fois plus de tweets que les 3,200 messages liés au Brexit partagés par des comptes troll russes.

L’étude conclut notamment en disant qu’il faut systématiquement continuer à dénoncer ces mensonges des politiciens pour lutter efficacement contre ceux-ci.

Vous pouvez lire l’étude au complet (version .pdf) ici.

Événement : Lancement de la session d’hiver-printemps 2019 de l’UPop Montréal

Source: site Web de l’UPop Montréal

Connaissez-vous l’UPop Montréal? Sa mission (comme le mentionne leur site web) est « de favoriser le développement de l’esprit critique en offrant à la population de Montréal et des environs un accès libre et gratuit au savoir par le biais d’activités d’éducation populaire implantées dans plusieurs quartiers de la ville. Inspirée du mouvement alternatif des universités populaires européennes, la démarche du projet vise à créer un lieu dynamique de rencontre, de réflexion et de partage des connaissances pour un public varié. Les activités sont ouvertes à toute personne curieuse et désireuse d’alimenter activement sa connaissance et sa réflexion. « 

C’est l’ami Sébastien Paquet qui m’a parlé de l’UPop il y a quelques mois. Leur programme est souvent fort intéressant, touchant notamment à la philosophie, la sociologie et les mathématiques. Le lancement de leur session d’hiver-printemps 2019 aura lieu lundi le 11 février à 19h à Ma Brasserie (2300 rue Holt, Montréal).

Nous aurons droit à cette occasion à une conférence sur le mouvement des gilets jaunes, que je suis avec attention depuis le début : « Mouvement populaire exceptionnel dont les manifestations hebdomadaires durent depuis près de trois mois, il n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé au Québec au printemps 2012. Pour y voir plus clair, nous avons invité un observateur assidu de ce mouvement depuis ses débuts, Rodolphe Gonzalès, qui nous partagera ses impressions sur l’émergence des gilets jaunes et l’évolution de ses revendications. »

Je pense bien y aller. Vous me laisserez savoir si vous y allez aussi!

Vincent de Gaulejac, sociologue : « il faut essayer de célébrer l’hypo-modernité et pas seulement l’hyper-modernité »

Dans le livre, (…) je développe l’idée qu’il faut essayer de célébrer l’hypo-modernité et pas seulement l’hyper-modernité. L’hypo-modernité, c’est quoi? C’est, par exemple, retrouver cette société où on avait le temps d’écrire, où on avait le temps de rêver, où on avait le temps d’être désoeuvré, de n’avoir rien à faire. On peut se dire, c’est un monde d’aristocrates, qui n’est pas adapté à cette hyper-modernité de la réussite, de l’excellence, de l’économie, etc. Oui, effectivement, c’est retrouver un temps qui ne soit pas complètement soumis à cette exigence de productivité, de rentabilité et d’utilité.

Vincent de Gaulejac, sociologue, contributeur de l’ouvrage « @ la recherche du temps. Individus hyperconnectés, société accélérée : tensions et transformations« , interviewé dans le cadre de l’émission « La grande table des idées » du 21 janvier 2019.

Claude Lefort (1924-2010), philosophe anti­totalitaire et penseur de la démocratie.

Reconnaître la singularité de la vie démocratique, ce n’est aucunement s’arc-bouter sur l’ordre en place ni délégitimer sa contestation ; c’est, au contraire, mesurer le prix d’un espace à la texture fragile, tissé de droits conquis et de libertés ­vécues, de réflexes ­ordinaires et d’élans passionnés, espace lui-même indissociable de combats émancipateurs dont il demeure étroitement solidaire. Au milieu du brouhaha, malgré la mauvaise foi, on devrait pouvoir affirmer cela, comme le fit sans relâche Claude Lefort, dont toute l’œuvre tente de préserver la nécessité d’un double geste : soumettre la démocratie réellement existante à une critique impitoyable, dénoncer sans relâche ses limites, ses hypocrisies, ses compromissions, ses violences (policières, notamment) et, en même temps, ne jamais céder au périlleux ­confusionnisme qui conduit à ­occulter la différence avec les ­régimes autoritaires.

Birnbaum, Jean (2019, 1er fév.). « Claude Lefort, lecture salutaire contre les trolls « antisystème » pour qui les Français vivent déjà en dictature » , Le Monde des livres, p.7.