La rumeur, à l’époque, c’était surtout le bouche-à-oreille. Aujourd’hui, tout circule vite, aussi bien les vérités révélées par des lanceurs d’alerte que les rumeurs les plus délirantes sur le 11-Septembre. Le seul antidote, c’est la pluralité des sources d’information et des moyens d’expression. Le propre de la démocratie, comme disait Lefort, c’est qu’elle n’a pas de vérité, elle laisse s’installer des vérités provisoires. Si on décrète que l’Etat doit dire ce qui est vrai ou faux, alors on retombe dans des travers propres aux régimes théocratiques ou autoritaires.
Mais les réseaux sociaux, ce n’est pas le débat intellectuel. Moi j’utilise Twitter à la manière de La Rochefoucauld, pour proposer de petites pensées sur un événement. Alors, il est vrai que le propre de cet Internet, et c’est l’envers de la liberté, c’est que les pires conneries peuvent s’y déchaîner. Il y a là un pouvoir d’intimidation, je l’ai ressenti. Mais j’ai quand même l’habitude de ce que j’appellerais l’insulte abstraite, provenant d’organismes ou de personnes qui ne vous connaissent pas personnellement. Je me suis fait insulter par la presse officielle sous l’Occupation, ou par mes amis de gauche pendant la guerre d’Algérie, donc je sais que si j’ose être un peu moi-même, si je veux maintenir un minimum d’autonomie, je risque aussitôt la violence et le mépris.
Edgar Morin, philosophe
Intéressante perspective du philosophe Edgar Morin, 97 ans, sur la violence et le mépris qui sont, depuis longtemps, le lot des gens qui participent à la vie de la cité et prennent des positions publiques. Les médias sociaux ne sont donc pas à l’origine de ce grand défouloir, mais permettent un effet d’échelle jamais vu de ce phénomène.
Birnbaum, Jean, Edgar Morin : « J’ai gardé mes inspirations adolescentes tout en perdant mes illusions », Le Monde, 7 février 2019
Fort bien, cette réflexion d’Edgar Morin. Et ça dit beaucoup sur ce qu’est l’humanité.
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