Boris Cyrulnik – Ne peut-on pas dire également qu’une société vit de la mort de ses idées ? Car le plus sûr moyen d’assassiner une idée, c’est de la vénérer. À force de la répéter, on la transforme en stéréotype (…). Faire vivre une idée, c’est au contraire la débattre, la combattre, chercher à tuer certains éléments qui la composent.
Edgar Morin – (…) j’ai d’ailleurs essayé d’établir une conception des idées en faisant la différence entre théorie et doctrine. J’appelais théorie un système d’idées qui se nourrit dans l’ouverture avec le monde extérieur, en réfutant les arguments adverses ou en les intégrant s’ils sont convaincants, et en acceptant le principe de sa propre mort, de sa propre biodégradabilité si par exemple des événements infirment la théorie. (…) Une doctrine est une théorie, mais elle est fermée. (…) Bien sûr, les doctrines peuvent vivre plus longtemps, car elles se blindent. (…) Mais même sur le plan des idées sociales et politiques, combien de temps des théories perdurent, alors qu’on a montré leur fausseté de multiples façons ? Et pourquoi ? Mais parce que les doctrines satisfont des désirs, des aspirations, des besoins.
Intéressante perspective qui peut nous aider à comprendre i) la puissance des messages politiques populistes ii) comment les infox peuvent perdurer.
Source : Dialogue sur la nature humaine, Boris Cyrulnik, Edgar Morin, L’aube Eds De, 06/2004