Vu à Paris le 26 décembre dernier, le spectacle du comédien Tape Face. Mi-clown, mi-mime, le personnage porte sur sa bouche un ruban adhésif et ses yeux, toujours grands ouverts, sont maquillés en noir. Évidemment, il ne parle jamais. Nous avions découvert Tape Face lors de la saison 2016 de l’émission de télé-crochet « America’s Got Talent » où il était un de nos participants favoris.
Le spectacle pour toute la famille est interactif, il fait monter sur scène une dizaine de spectateurs pour participer aux numéros, et on rit à gorge déployé pendant toute la durée de la représentation. Il arrive à faire passer à travers son pantomime une série d’émotions allant du rire à la poésie. La finale, que je ne divulgacherai pas est fantastique.
Au-delà du bonheur que nous a procuré sa comédie, le protagoniste m’a fait réfléchir et m’a ramené à ce manifestant kazakh brandissant une affiche vide et arrêté par la police malgré l’absence de message politique. J’écrivais dans un billet que « Dans un monde de bruit, de production massive de contenu, le vide, le non-message, devient un symbole plus puissant que le message. » L’absence de mots, de phrases, dans le spectacle de Tape Face s’accorde bien avec l’air du temps.
Dans un même ordre d’idée, les romanciers français Simon et Capucine Johannin déclaraient récemment dans leur revue de l’année pour le magazine Les Inrocks : « On est saturé d’informations, et ça aussi on le sait. En fait, et c’est une chose bizarre à dire quand on gagne sa vie grâce à eux, les mots n’ont plus autant de poids qu’avant. »
Ces réactions sont tout à fait normales face à la saturation de signaux textuels, mais y a-t-il un risque à renoncer aux sens des mots, au sens du langage ? L’émergence de la novlangue semble contribuer à cela. Frédéric Joly disait récemment que « appauvrir une langue, c’est l’obscurcir et se condamner à mal communiquer ». Sachant que les mots et les idées sont fondamentaux pour faire avancer la société (le philosophe anglais Hobbes disait « l’usage général de la parole est de transformer notre discours mental en discours verbal et l’enchaînement de nos pensées en un enchaînement de mots »), comment arriverons-nous à redonner de l’importance aux mots ?