Dans un splendide article du numéro de décembre 2019 du magazine Philosophie intitulé « Bergson nous apprend à ne pas passer à côté de notre vie », la professeure de philosophie Claire Marin nous propose une interprétation des pensées du philosophe français Henri Bergson (1859-1941).
Le thème de la personnalité est celui qui nous intéresse ici. Bergson dit que « notre personnalité, (…) c’est une continuité de mouvement, une continuité de changement ». Claire Marin explique que « la personnalité nécessite un effort d’unification des états de conscience multiples et variés ». Bergson disait que « chaque enfant porte en lui des possibilités multiples abandonnées au fur et à mesure de la vie » et que « l’adulte perd sa capacité de jouer mentalement avec sa propre image [et] il devient prisonnier de l’image qu’il a de lui-même, de schémas qui le contraignent sans même qu’il les identifie ».
Claire Marin affirme donc qu’ « il faut se nourrir de ces possibilités laissées pour mortes » et propose une éthique du multiple. Extrait :
On pourrait donc imaginer que la maturité rime avec l’investissement de différentes personnalités, ou plus exactement de différentes manières d’être. Au lieu d’envisager la vie comme une ligne qui nécessiterait le sacrifice de nombreux embranchements, pourquoi ne pas préférer l’image de l’arbre et des bifurcations possibles ? Une éthique du multiple résoudrait la tension entre le fait de garder une certaine constance, une unité, une fiabilité aux yeux des autres et à mes propres yeux, et l’idée de pouvoir être différentes personnes ou de traverser différentes phases dans une vie.
(…)
Comment garder une part de cohérence, tout en s’autorisant la réinvention, la création de soi-même comme quelque chose de neuf, de surprenant ?
Ces réflexions me parlent puisque la réinvention est au coeur de ma vie depuis une quinzaine d’années. D’abord une nécessité professionnelle parce que c’est la seule façon d’avoir du succès à long terme lorsqu’on travaille en technologie, mais aussi de façon personnelle pour aller explorer des désirs et des rêves de longue date.
Cette image de l’arbre et de bifurcations me ramène aussi à ce billet à propos de l’écrivain Carlo Levi, dans lequel il nous envoie un puissant message sur la nécessité des digressions dans la vie (ma traduction) :
Si une ligne droite est la distance la plus courte entre deux points fatals et incontournables, alors les digressions allongent cette ligne – et si ces digressions deviennent si complexes, emmêlées, tortueuses et si rapides qu’elles obscurcissent leurs propres traces, alors peut-être que la mort ne nous trouvera pas encore, peut-être que le temps perdra son chemin, peut-être pourrons-nous rester dissimulés dans nos cachettes en constante évolution.
Bravo !
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